Les origines et le postulat de base de l’A.T. : « tout le monde naît OK »
A l’origine, Eric Berne, un médecin psychiatre américain qui a voulu mettre « la psychiatrie et la psychanalyse à la portée de tous » (c’est le titre français de la traduction de son premier ouvrage « Mind in action »). Dans un contexte d’après guerre où tant d’hommes et de femmes se remettaient mal de ce qu’ils avaient dû subir, la cure analytique trop longue et trop chère était de peu d’aide pour le plus grand nombre. Eric Berne qui avait suivi une formation d’analyste a prôné des thérapies brèves, où l’on travaille en collaboration avec le patient ou le client, dans le cadre d’un contrat qui mobilise les deux parties.
Son postulat de base était que l’homme a à la naissance un potentiel de bonheur et une capacité à être en accord avec lui-même, les autres et la vie qui se modifie par la suite sous l’effet des circonstances de son histoire, mais qu’il peut retrouver par la suite, en particulier dans une démarche thérapeutique. Il disait dans son langage imagé : « Nous sommes tous nés princes et princesses ; les circonstances de la vie ont fait de nous des grenouilles et des crapauds, mais nous pouvons décider de redevenir princes et princesses, comme dans les contes ». L’A.T. est une philosophie optimiste.
Un langage simple, des schémas clairs :
Berne n’aimait pas les grands mots . Quand il entendait ses collaborateurs se lancer dans des analyses savantes à propos d’un cas, il disait : « Et pendant ce temps-là le client ne guérit pas ! ». Il prétendait qu’un enfant de huit ans devait pouvoir comprendre ce qu’on disait et il avait l’habitude de faire les réunions de synthèse à l’hôpital en présence des patients.
Si l’Analyse Transactionnelle a un langage simple, c’est pour mieux communiquer, parce que Berne voulait faire de la psychiatrie sociale et travailler avec les gens.
La théorie bernienne comprend quatre grands domaines :
- l’analyse structurale de la personnalité humaine, modèle fondé sur trois systèmes de fonctions du Moi : l’état du moi Enfant, l’état du Moi Adulte et l’état du moi Parent. Ce modèle est une extension de la notion freudienne du moi.
- l’analyse de la communication humaine et des transactions c’est à dire des échanges verbaux et non verbaux entre les personnes, (elle tire son nom du mot » transactions »)
- l’ analyse de la communication indirecte avec l’étude des jeux psychologiques c’est à dire des séquences prévisibles d’échanges qui tournent de manière désagréable ou destructrice , amenant des ruptures de communication, des escalades dans le conflit, des sentiments désagréables et l’impression que les problèmes sont insolubles,
- l’analyse du scénario de vie, plan de vie psychologique influencé par les messages reçus dans l’enfance et celle des décisions prises par le petit enfant à un âge où il était dépendant des grandes personnes. Sans que nous en ayons eu conscience, notre « scénario de vie « s’est mis en place pour nous assurer la survie, la sécurité et l’approbation, au détriment de l’intimité, de l’expression et de la réalisation de nous-même.
La notion de base , c’est les états du Moi, le Moi étant la partie de la personne qui est consciente ou peut le devenir. Ce Moi est composé d’un état Parent, qui est l’héritage, ce que nous avons reçu comme messages parentaux qui forment notre système de valeurs, mais aussi nos préjugés, d’un état Adulte, la partie qui perçoit et analyse la réalité, l’instance de décision, et l’état du Moi Enfant partie qui est la trace de l’enfant que nous avons été et qui sera présent en nous jusqu’à notre dernier souffle. Chaque état est un ensemble cohérent de pensées , de sentiments et de comportements observables. Ces états du moi ne sont pas liés à l’âge : un enfant de trois ans ou un adolescent de de seize ans ont eux aussi trois états du moi.
Ces concepts sont représentés au moyen de schémas très faciles à utiliser et qui permettent de visualiser le Moi de chacun avec ses trois états, sous forme de trois cercles superposés et les échanges avec les autres (c’est à dire les transactions, avec mise en évidence des différents niveaux de ces transactions : niveau apparent et niveau caché).
De même les messages reçus des parents ou des figures parentales importantes, messages d’interdiction, de permission ou concernant la manière dont l’enfant devait se comporter pour être accepté pourront figurer avec économie en utilisant les mêmes schémas.
D’autres analystes transactionnels ont apporté leur pierre à la théorie, du vivant de Berne et depuis sa mort, presque chaque année, le prix scientifique Eric Berne est accordé à un Analyste Transactionnel. Ce fut le cas pour Karpmann qui décrit les jeux psychologiques au moyen d’un triangle avec à chaque pointe un des trois grands rôles correspondant à la place de chacun dans le jeu, celui de Victime, de Persécuteur et de Sauveur. Chacun entre dans le triangle par un rôle favori et ensuite, tout le monde tourne, comme on le verra plus bas En voici le schéma :
Ces quelques schémas de base suffisent. Ils contribuent à rendre l’A. T. plus accessible et en même temps ils peuvent être complexifiés par les spécialistes. Ils sont utilisables pour appuyer la description de la communication faite à partir d’une observation précise des paroles , des comportements et des mimiques des personnes et des résultats de leur action sur les autres.
Comment j’utilise l’A. T. dans mon métier :
L’Analyse transactionnelle s’utilise dans le domaine clinique, dans le champ social (métiers de soin et d’accompagnement) dans le domaine des organisations et dans celui de l’éducation. C’est de celui-ci que je parlerai puisque c’est celui où j’exerce mon métier.Je suis en effet inspectrice d’écoles et formatrice d’enseignants. Mon domaine est celui des apprentissages, ceux que font les enfants et ceux qu’on peut faire, devenu adulte
Dans mon domaine, l’A.T. me permet d’observer par exemple la relation pédagogique en situation d’inspection et de conseiller ce qu’il convientde faire, d’une manière qui pourra être acceptée. Je note les interactions entre un élève ou des élèves et l’instituteur, les mimiques, les paroles et lors de l’entretien qui suit l’observation de classe, nous partons de ces éléments pour analyser ce qui se passe et voir comment on peut faire autrement ou pourquoi c’était une intervention appropriée. Reproduire ce qui a bien fonctionné suppose en effet de comprendre ce qu’on a fait.
En voici une illustration : une institutrice m’avait demandé d’observer le climat de la classe dans le feuillet de préparation que je propose de remplir avant l’inspection et qui comprend une rubrique « que désirez -vous que j’observe en particulier ? » . (C’est la manière dont je mets en place des relations de type contractuel dans cette situation d’évaluation unilatérale). J’ai donc porté mon attention sur les relations entre les élèves et sur la manière dont l’institutrice intervenait. A un moment, deux enfants se sont disputées. On faisait du calcul mental et l’une avait copié son résultat sur l’autre. Cette dernière a protesté et dit « Maîtresse, elle a copié sur moi ! ». L’institutrice a répliqué : « Tu n’as qu’à cacher ton ardoise ! ». Un peu plus tard, au moment du comptage des points, celle qui avait copié s’est écriée : « Maîtresse elle a triché ! Là elle avait zéro !
Voici comment j’analyse cette petite scène en termes d’A.T.en utilisant le triangle dramatique, présenté dans le schéma numéro 2 :
La filllette A. se plaint de la fillette B. qui copie sur elle et contrevient à la règle non dite de travailler seul au moment de l’évaluation, ce qui était le cas. Elle demande à l’institutrice de réprimander celle qui n’a pas respecté la règle. Je suppose qu’elle se sent persécutée parce que l’autre lui vole son résultat et qu’elle veut la persécuter à son tour en la faisant réprimander. Elle doit attendre quelque chose comme : « Ce n’est pas bien de copier ! » . Elle fait appel au Parent de l’institutrice, celui qui fait la morale. L’institutrice qui se trouve sans arrêt devant ce type de situation la renvoie à sa responsabilité (elle n’a qu’à cacher son ardoise). Au lieu de se faire son alliée, elle la persécute, si bien que la fillette se retrouve Victime, puisqu’elle se voit reprocher de ne pas avoir fait quelque chose qu’elle aurait dû faire : cacher son ardoise et protéger son travail des regards de sa voisine.
Peu de temps après, sa voisine lance « Maîtresse elle a triché ! », se vengeant de la dénonciation, en position de Persécuteur, faisant alliance avec la maîtresse contre l’autre. Quand on entre dans le triangle dramatiqure, on y entre dans l’une des positions de Victime, de Persécuteur ou de Sauveur, mais on tourne dans le triangle. Les personnes en position de dépendance invitent les figures parentales à les sauver ou à les persécuter , souvent à les sauver en persécutant le voisin. Le triangle sert à marquer les rôles dans les jeux psychologiques. Ici, les fillettes et l’institutrice ont joué à un jeu psychologique qu’on nomme « Défauts », et qui consiste à signaler les défauts des autres, et la fillette qui copiait a enchaîné sur le jeu « Je te tiens ! » qui consiste à prendre l’autre sur le fait et à le crier bien fort. Tout cela se passe très vite et n’est pas conscient. La pratique de l’observation instrumentée avec les outils de l’A.T. m’a appris à identifier dans les échanges des formes fixes ( ici le jeu psychologique analysable avec le triangle dramatique) qui rendent la communication prévisible. A chaque étape, il est possible de trouver une intervention appropriée et de la proposer.
Que pouvait faire ici l’institutrice ? Elle pouvait rappeler le sens de l’activité, sans faire de morale et dire, en mobilisant la partie positive de son état du Moi Parent, quelque chose comme : « J’ai besoin de savoir si vous avez tous compris ou pas , avant de passer à autre chose. Quand tu regardes sur l’ardoise de ta voisine, tu n’apprends pas à trouver le résultat toute seule. C’est normal de se tromper, mais c’est important que tu apprennes à trouver le résultat toute seule. J’ai besoin de savoir si vous avez tous compris, car cela m’indique s’il faut y revenir ou non, car si je crois que tu as compris, je passe à autre chose et c’est toi qui es ennuyée ensuite ».
Le but de la plupart des enfants, c’est de faire plaisir à la maîtresse en donnant la réponse qu’elle attend pour laquelle ils obtiendront un sourire et des félicitations. Ils sont dans la dépendance par rapport aux grandes personnes et dans ce qu’on nomme en A.T. l’Enfant Adapté, face au Parent du maître qui lui dit ce qu’il doit faire. Or l’éducation vise à développer l’autonomie et la capacité de penser et se conduire par soi-même . Nourrir l’état du moi Adulte suppose de renoncer à faire deviner ce que l’on attend. En expliquant cela, l’institutrice agit sur les deux enfants et sur toute la classe. Elle contribue à créer un climat de coopération pour apprendre, en distinguant les moments où on vérifie les acquis et ceux où on travaille ensemble. Elle joue tantôt du Parent qui met en place les règles du groupe et les fait respecter, protège les enfants, mais aussi les nourrit affectivement et intellectuellement , tantôt de l’état du moi Adulte quand elle les entraîne à penser.
Moi-même, en m’appuyant sur l’observation de ce que je vois et j’entends, je travaille avec l’Adulte et j’aide l’enseignant à progresser, s’il le souhaite. La plupart d’entre eux sont stimulés par cet échange. Certains cependant évitent de s’engager dans une relation de type égalitaire avec l’inspecteur ou avec les enfants. C’est leur droit.
Le contrat en Analyse Transactionnelle
Je voudrais dire maintenant quelques mots du contrat. Faire de l’A. T., c’est expliciter. Or dans les métiers de l’éducation, les contrats ne sont pas explicites. A quoi nous engageons-nous ? Quelle est la réciprocité ? Les enseignants ont un contrat de travail avec l’institution qui les rémunère. Les parents ont un contrat avec l’institution qui a créé l’obligation scolaire et propose diverses modalités de formation. Mais les enfants sont obligés de venir à l’école. Certains sont motivés pour apprendre, d’autres non.
L’Analyste Transactionnel travaille sur contrat, dans une relation de réciprocité. Ce contrat n’est pas seulement financier (contrat d’affaire). Il concerne les buts que le client veut atteindre, ce qu’il veut changer ou apprendre ; il précise comment le client et l’Analyste transactionnel pourront vérifier que ces buts sont atteints. Le thérapeute partage ses outils théoriques et offre sa compétence. Il vérifie que le but désiré est légal. Il est lui-même soumis à des règles déontologiques, il est en supervision constante et appartient à une association qui forme ses membres et délivre les attestations d’exercer. Le contrat est protecteur et efficace parce que chacun met dans la relation l’énergie, la compétence et que la protection est assurée pour les deux, Analyste Transactionnel et client.
A l’école aussi , pour que le but de parvenir à l’autonomie et de réussir , qui est celui de l’éducation, soit atteint , il est important que les trois Etats du Moi des partenaires soient engagés dans la relation et que la responsabilité de chacun dans le résultat soit précisée.
Conclusion
L’A.T. est donc d’une grande utilité pour se comprendre, comprendre ses relations avec les autres, observer la communication et avoir un éventail de choix pour intervenir en fonction de la situation et du contrat qui lie les parties.Elle implique une double écoute de ce qu’on ressent et de ce qui se passe et qu’on fasse des hypothèses à chaud sur les processus relationnels en cours, en se fiant à son intuition et à son expérience pour intervenir avec bienveillance et efficacité.
Quels ouvrages consulter ?
Eric Berne : Analyse Transactionnelle et psychothérapie. Editions Payot
Gysa Jaoui : Le triple Moi . Editions Laffont
Fanita English : Analyse Transactionnelle et émotions, Editions EPI
Jacques Van de Graaf, Manette Krack, Salomon Nasielski : L’Analyse Transactionnelle, Méthodes d’application en travail social et en psychologie clinique.. Editions Privat
Agnès Le Guernic est Analyste Transactionnelle certifiée par l’association européenne d’Analyse Transactionnelle, dans le champ de l’éducation. Elle a exercé comme inspectrice et comme formatrice d’enseignants dans le domaine de la communication. Elle est formatrice et superviseur agréée par l ’ association européenne d ’ AT depuis 2002. Elle exerce à Paris.
Cet article a été publié dans le numéro de janvier-février 1994 du magazine INTUITIONS